Ecrit le 27 févr. 2006 04:13
Message
par medico
Un lâcher d’étranges ballons défensifs
DANS les années 40, Londres était une ville en état de siège. Les avions de combat allemands et les bombes-robots semaient la terreur et la destruction. Dans ce contexte se produisit un événement étrange, qui aurait pu amuser les Londoniens s’ils n’avaient été dans une situation aussi désespérée.
Attachés à de longs câbles, des milliers de grands ballons flottaient en l’air. Ce barrage de fortune visait à décourager les attaques en rase-mottes et à intercepter quelques bombes-robots. Ingénieux, mais passablement inefficace.
De même aujourd’hui, les firmes de tabac sont assiégées. Ces empires tentaculaires, détenteurs d’un formidable pouvoir politique et économique, sont attaqués de toutes parts.
Le milieu médical produit en série des études accablantes. Les autorités sanitaires manœuvrent à leur avantage. Les parents portent plainte pour mauvais traitements à enfants. Les législateurs chassent la fumée de cigarette des bureaux, des restaurants, des casernes et des avions. Dans de nombreux pays, la publicité en faveur du tabac est aujourd’hui interdite à la télévision et sur les ondes. En Amérique, certains États poursuivent en justice les fabricants de cigarettes afin d’être dédommagés des millions de dollars que coûte le tabac en soins médicaux. Même des juristes se joignent à ces attaques.
Pour repousser l’ennemi, les fabricants de cigarettes lancent leurs ballons défensifs. Mais leurs arguments ne semblent être que du vent.
En avril 1994, le public américain a assisté aux premières loges à l’offensive de représentants de l’assemblée législative et des autorités sanitaires contre l’industrie du tabac. Lors de plusieurs audiences devant une commission du Congrès américain, ils ont placé les directeurs de sept grandes firmes de tabac américaines devant des chiffres accablants: chaque année, plus de 400 000 Américains décèdent à cause de la cigarette, et des millions d’autres sont malades, mourants ou simplement dans un état de dépendance.
Qu’ont répondu les accusés pour leur défense? Certaines de leurs déclarations ne manquent pas d’intérêt. “La relation causale entre la cigarette (...) et la maladie reste à prouver”, a affirmé un représentant de l’Institut américain des tabacs. D’autres ont prétendu que fumer est aussi inoffensif que n’importe quelle autre activité agréable, telle que manger des bonbons ou boire du café. “La présence de nicotine ne fait pas de la cigarette une drogue ni du fumeur un toxicomane”, a soutenu de son côté un cadre administratif. Enfin, un chercheur travaillant pour l’une des firmes a dit que “l’affirmation selon laquelle la nicotine crée une dépendance quel que soit son taux est fausse”.
Si la cigarette ne crée pas une dépendance, a objecté la commission, pourquoi les fabricants de tabac essaient-ils de modifier les taux de nicotine dans leurs produits? “Pour le goût”, a expliqué l’un des directeurs. Y a-t-il rien de pire qu’une cigarette sans goût? Placé devant une foule de résultats compromettants émanant du service de recherches de sa propre entreprise, ce directeur n’en est pas moins resté sur ses positions.
C’est apparemment la politique que les fabricants de tabac ont choisi d’adopter, peu importe le nombre de personnes que la cigarette enverra encore au cimetière. Au début de 1993, le professeur Lonnie Bristow, président du conseil d’administration de l’Association des médecins américains, a lancé un intéressant défi, dont le Journal of the American Medical Association s’est fait l’écho: “Il a invité les directeurs des grandes firmes de tabac américaines à l’accompagner dans les hôpitaux pour constater de visu l’une des conséquences de l’usage du tabac: les malades atteints d’un cancer du poumon et autres déficients pulmonaires. Mais tous ont décliné l’invitation.”
L’industrie du tabac se targue d’offrir de bons emplois à une époque où l’on ne parle que de chômage. En Argentine, par exemple, elle emploie directement un million de personnes et indirectement quatre millions d’autres. Les revenus fantastiques que représentent les taxes sur le tabac valent aux fabricants de cigarettes les bonnes grâces de nombreux gouvernements.
Une firme de tabac fait des dons généreux à des minorités. Une manifestation de civisme? Des documents internes ont révélé le mobile caché de ces “subventions électorales”: s’attirer des partisans dans le corps électoral.
La même firme se fait également des amis dans le monde des arts en arrosant libéralement musées, établissements scolaires et écoles de danse et de musique. Les responsables des organismes artistiques se font violence pour accepter cette manne dont ils ont tant besoin. Des membres de la communauté artistique new-yorkaise ont été bien embarrassés quand la firme leur a demandé de soutenir un groupe de pression luttant contre la législation antitabac.
Évidemment, les géants du tabac n’hésitent pas non plus à distribuer de l’argent aux hommes politiques, qui peuvent user de leur influence pour s’opposer à n’importe quelle proposition propre à nuire aux intérêts de l’industrie de la cigarette. Des hauts fonctionnaires défendent la cause des firmes de tabac. Certains ont avec elles des liens financiers ou se voient rappeler le soutien généreux qu’elles leur ont apporté en période de campagne électorale.
Un membre du Congrès américain aurait reçu de fabricants de cigarettes plus de 21 000 dollars et aurait par la suite voté contre plusieurs textes antitabac.
Un ancien membre d’un groupe de pression pro-tabac ayant reçu d’importants subsides, autrefois sénateur et gros fumeur, a appris récemment qu’il avait un cancer de la gorge, du poumon et du foie. Cet homme, qui éprouve aujourd’hui de grands regrets, explique qu’il y a de quoi devenir fou quand on est “cloué au lit à cause d’une maladie dont on est responsable”.
Comptant sur la force de la publicité, les magnats du tabac contre-attaquent avec virulence. Brandissant l’étendard de la liberté, un message publicitaire lance cette mise en garde: “Aujourd’hui, la cigarette. Et demain?” Comprenez: la caféine, l’alcool et les hamburgers seront les prochaines victimes de prohibitionnistes fanatiques.